Clair et obscur: Tous les passionnés de prog « old school » qui, comme moi, avaient succombé au charme suranné de L’Enigma Della Vita (2014), attendaient avec beaucoup d’impatience des nouvelles du quatuor transalpin LogoS. Six années d’attente c’est long et cela peut tout aussi bien signifier du travail acharné comme de la difficulté à continuer.
Mais pour ces artisans du son et ces ciseleurs de mélodies, il n’y avait aucune interrogation ni aucune pression. Il leur fallait juste une bonne histoire. Et c’est lors d’une exposition consacrée à l’origami que l’artiste peintre Marica Fasoli va leur parler de Sadako Sasaki, une petite fille de 2 ans, rescapée de Hiroshima et devenue un symbole de paix par son courage et son obstination.
Nous sommes le 6 août 1945, l’explosion atomique sur Hiroshima va changer le cours de l’histoire et marquer durablement les esprits et les chairs. Sadako va grandir en emportant avec elle les retombées radioactives qui lui seront fatales vers l’âge de 12 ans. Une légende nippone raconte que celui qui est capable de fabriquer mille grues en papier (nos cocottes en papier à nous) verra son plus cher désir se réaliser. Jour après jour Sadako va s’atteler à la tâche et réussir à créer 644 petites grues avant que la maladie ne l’emporte. Son aventure va émouvoir un très grand nombre de personnes qui feront d’elle une icône de cette tragédie.
Deux statues lui sont dédiées, une à Hiroshima, l’autre à Seattle et partout dans le monde des pliages en papier sont régulièrement fabriqués en sa mémoire. Une histoire émouvante qui a séduit LogoS et qui va servir de support à leur quatrième album.
Pour vraiment bien appréhender le concept, on doit prendre en compte l’importance de la rencontre avec Marica Fasoli et l’aspect visuel qui en découle. C’est d’ailleurs sa toile intitulée « Aqua » de la série Cinque Elementi qui va illustrer la pochette. Cette démarche intellectuelle de construction/déconstruction sera l’inspiratrice des paroles des chansons avec parfois des mystères pas toujours évidents à décrypter. Heureusement, les sons l’emportent et si comme moi, la maîtrise du beau parler italien vous échappe, on ne retiendra que son extraordinaire musicalité. Premières constatations : par rapport à L’Enigma Della Vita, ce nouvel albumparaît plus ramassé, plus puissant.
Les claviers de Luca Zerman et de Claudio Antolini dominent la situation ne laissant que peu de place aux guitares de Fabio Gaspari. Du coup on lorgne d’assez près vers les seigneurs du genre que sont Keith Emerson et Rick Wakeman avec un LogoS qui nous amène sur les terres de Yes, d’un très bon ELP ou d’un Magellan plus mélodieux. Les parties chantées sont superbes et peu envahissantes.
C’est tout le charme du RPI (Rock Progressivo Italiano) qui n’échappe pas aux comparaisons pour la musique mais devient totalement original dans ses parties vocales. La grandeur des opéras italiens et la tradition romantique des chansons populaires ont largement influencé le répertoire RPI et certainement contribué au succès international des PFM, Le Orme ou Banco Del Mutuo Soccorso. Les groupes actuels dont fait partie LogoS n’échappent pas à la règle et ne cherchent pas non plus à révolutionner le style, bien au contraire. La formule fonctionne et trouve encore son public.
Pour en finir avec l’aspect visuel, LogoS s’est associé à la réalisatrice Elia Cristofoli en vue de mettre l’histoire en mouvement. Le groupe nous explique que Sadako E Le Mille Gru Di Carta est un assemblage artistique où fusionnent la voix, les paroles, la musique, l’image fixe et l’image animée.
L’album démarre par le pétulant et court « Origami In SOL », un morceau d’introduction typique des grandes épopées progressives. Les claviers sont majestueux et la batterie d’Alessandro Perbellini martèle puissamment son sujet. Nous voilà sur de bons rails pour savourer pleinement le délicieux « Paesaggi Di Insonnia» qui nous attend juste après. Le rythme est toujours soutenu jusqu’à la partie chantée qui précède une mélodie dont seul LogoS a le secret et qui va servir de fil conducteur à ce morceau. Plus de onze minutes de bonheur agrémentées par la fougue du saxophone de Federico Zoccatelli bien en place sur le thème principal. Un très bon début qui rassure et qui est porteur de beaucoup d’espérances. On continue avec le rythme endiablé de « Un Lieto Inquietarsi » sur lequel se déchaîne la basse de Fabio Gaspari.
On entrevoit même le « Heart Of The Sunrise » de Yes, c’est dire si cet instrument est mis à l’honneur. De son côté, Luca Zerman, dans un registre proche de Greg Lake, chante avec beaucoup d’intensité cet avertissement pour le futur. Tout est bien construit et sans temps morts. LogoS maîtrise son art et fait preuve d’une belle progression, même par rapport à L’Enigma Della Vita. Après ces trois morceaux assez musclés, c’était le bon moment pour entrer dans l’œil du cyclone et se poser un petit peu.
C’est « Il Sarto » (Le Tailleur) qui s’y emploie en nous proposant une douce romance soutenue par la présence d’Elisa Montaldo au chant. Une jolie trouvaille qui amène une touche féminine dans cette évocation du rêve que l’on peut tisser, loin de la sombre réalité. Il y a du Procol Harum sur ce titre qui fleure bon les slows d’antan. Un intermède idéalement situé avant une grandiose deuxième partie.
Tout d’abord c’est une avalanche de claviers qui déboule sur « Zaini Di Elio », mais toujours avec le souci de privilégier la mélodie et la construction progressive. Ici, LogoS revisite le mythe de la boîte de Pandore qui contient à la fois les maux et les remèdes de l’humanité. Les solo de synthé nous enlacent et nous entraînent dans une ronde tourbillonnante qu’il sera difficile de lâcher. Sur la fin, les chœurs et les cloches tubulaires apportent un souffle saisissant à cette composition.
Et puis, pour finir, les 21 minutes de « Sadako E Le Mille Gru Di Carta » vont définitivement placer l’album parmi les grandes réussites progressives de cette année et confirmer tout le potentiel de nos amis véronais. De discrètes touches asiatiques vont donner encore plus de force à cette évocation tragique et rendre poignant cet hommage aux victimes de Hiroshima et Nagasaki. Le morceau commence par d’insouciants bruits de la vie, accompagnés par un piano léger qui fait penser à Joe Hisaichi (le compositeur emblématique du studio Ghibli) puis se poursuit de façon plus dramatique dans les notes et dans les mots. Les différentes mélodies s’installent et reviennent au fil des épisodes de façon claire et équilibrée.
C’est dense, bien écrit et imprégné des meilleures influences possibles. La guitare par exemple, qui pointe le bout de son nez pour une évocation du Yes des plus beaux jours. Il y a beaucoup à dire encore, mais le constat est sans appel, « Sadako E Le Mille Gru Di Carta » fait désormais partie des longs morceaux héroïques qui traverseront indemnes l’histoire du rock progressif aux côtés de « Close To The Edge » ou de « Tarkus ».
La relève est là et bien là. Ce qu’il y a de merveilleux chez LogoS c’est qu’ils ne se contentent pas de faire que de la musique. Leur travail s’inscrit dans une démarche qui va beaucoup plus loin et qui dépasse même le cadre artistique. En revenant sur cette page peu glorieuse de la bêtise humaine, c’est un message de paix que les quatre membres du groupe veulent nous transmettre. Je sais, ça sent un peu le réchauffé, mais c’est en insistant et en utilisant, comme ici, la magie du rock progressif que l’objectif peut être atteint. Et puis, raconter la « grande » Histoire par l’intermédiaire de la petite Sadako est certainement plus marquant que de longs et creux discours.
clair et obscur
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