Alain SUCCA @ issue 91 (december 2014) of Big Bang Magazine

Le ciel est gris métallisé, la pluie ne va pas tarder à tomber. Comme s’il obéissait à plus fort que lui, le vent d’automne se déchaîne dans un bruit de gémissement et nous rappelle sa puissance destructrice. L’ombre d’un hiver précoce pèse sur nos frêles épaules. Comme un châtiment… Nous décidons de partir à la recherche d’une musique qui nous fasse oublier la couleur du ciel et la douleur de notre importance vaine. Allant de vide en vide, mais le cœur plein à ras bord d’espoir et de passion, nous tombons enfin sur un disque à la fraîcheur bienfaitrice, une musique avec un air nouveau mais qui nous semble si familière que nous l’accueillons comme un ami après une longue absence. De l’art de bien débuter un album. On y pénètre comme le voyageur imprudent s’éloigne du sentier, distrait un bref instant par une clarté lointaine et perdu celui d’après. Mais quel bonheur de se perdre ici ! Un vrombissement sur une seule note, plainte de guitare déchirante en glissando, comme un écho improbable de lamentations extraterrestres, puis une nappe harmonique sur une autre note, recouverte progressivement par un trio guitare-basse-batterie plus rapide et répétitif, laissant enfin la place à la mélodie principale avec une débauche de finesse à la guitare, un synthé emphatique en contrepoint, le tout étrangement émouvant et réjouissant à la fois, s’imposant dans notre esprit pour finir par l’attendrir tout en le dynamisant. Articulé en deux parties, ce morceau s’intitule “Antifona / Venivo Da Un Lungo Sonno” et ouvre L’Enigma Della Vita , le troisème album de Logos, un groupe italien plu- tôt obscur bien qu’existant depuis 1996. C’est le moment d’en apprendre un peu plus. Luca Zerman est le principal composi- teur. Chanteur et claviériste, principalement sur orgue Hammond et Mellotron, il est efficacement épaulé par Claudio Antolini au piano et synthétiseurs. Sur ce nouvel album, la batterie est curieusement tenue par le bassiste, Fabio Gaspari, qui fait ce qu’il peut avec un certain talent, handicapé par un mixage de l’instrument un peu trop clair et en avant. L’album a été enregistré entre 2006 et 2012 et depuis cette date, si on en croit les récents concerts de Logos, Fabio semble avoir rendu son poste à l’ancien batteur, Alessandro Perbelini, de retour après plusieurs années d’absence (on le retrouve ici sur l’un des derniers morceaux enregistrés). On ne vous en voudra pas si tout ne vous semble pas aussi limpide que souhaité. Mais le plus curieux est ailleurs : l’excellent guita- riste, qui prend une part importante à la qua- lité du disque, a depuis 2012 quitté le groupe et n’apparaît même plus sur leur site Internet. Lors des concerts de 2014, les 2 claviéristes prenaient en charge les parties de guitare. On y perdait au change. Mais l’atmosphère prégnante de L’Enigma Della Vita prévaudra sur tous ces éventuels reproches, qu’ils soient légitimes ou non. De l’importance de ne pas laisser de ventre mou. “L’Enigma Della Vita”, plus dense que le reste, l’exaltant “In Quale Luogo Si Fermò Il ¨Mio Tempo” qui pourrait devenir un classique, voilà une musique qui véhicule le souvenir d’une culture hier en voie de dis- parition, aujourd’hui plus vivace que jamais, comme si un esprit d’humeur fantasque l’avait déposée là pour notre plus grand plai- sir et accessoirement pour se moquer des esprits chagrins qui l’ont à une époque pas si lointaine vouée aux gémonies. Une musique qui porte en elle tous les parfums du prog transalpin des seventies (Le Orme, PFM, Banco…), mais aussi celui des grands maitres anglais (Floyd, Crimson, Genesis) quand il était encore question d’expérience, de sensibilité, et s’en imprègne jusqu’à la métamorphose. De l’intérêt de savoir finir un album avec flamboyance. Le choix des morceaux et leur position dans l’album est en effet particulièrement judicieux, et finir par “Pioggia In Campagna” n’est pas la moins bonne des idées. Ce final qui se révèle être une profonde vague de plaisir s’élevant d’une époque lointaine nous soulève sur l’océan du temps avec des variations de lumière après lesquelles toutes les ombres de notre âme semblent différentes. Avec L’Enigma Della Vita, Logos profite du vent de l’histoire pour gonfler ses propres voiles, avec une vision personnelle du RPI, bien dans son époque, mais respectueuse d’un glorieux passé, emplissant nos mémoires de la buée des émotions réelles.

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